Par nature, l’Homme n’est ni bon, ni mauvais… Il suit juste le chemin qui lui est propre…
Sur ces mots, la salle se tait, attendant les prochains mots du conteur qui passait régulièrement chaque année, un barde du nom d’Haer. Seules quelques bougies sont allumées, Haer se retrouvant à la fois dans l’ombre et la lumière, l’entourant par là même de mystère. Ses mains commencent à jouer un air monotone, mais agréable à l’oreille, sur son instrument à cordes.
Mais lorsque l’Homme n’en est pas un, peut on en dire autant ?
Quelques murmures fusent. Quel conte commence ainsi ? Nul ne le sait. Quelle serait donc l’histoire de ce soir ? Faisant fit de ces interrogations, Haer continue.
L’Homme qui n’en est pas un est né il y a longtemps, Humain comme tant d’autre, dans une contrée fort lointaine du Nord, loin de ce royaume d’Amakna. Loin, beaucoup plus loin que Bonta. Il vivait heureux parmi son humble famille de forgerons, mais malheureusement, les Cieux ne furent pas cléments à son égard.
Des regards étonnés. Personne ne connait cette histoire. Quel est cet homme, qui est Homme sans l’être ? Haer avait capté leur attention, tous sont muets, attendant la suite.
L’Homme qui n’en est pas un vit un soir sa famille disparaître, peu après son cinquième anniversaire. Un disciple de Sram, le Dieu craint de tous, les massacra, sans motif apparent. Le père se sacrifia, après avoir vu mourir sa femme, pour permettre au fils de s’enfuir. Le feu s’éleva, alors qu’une danse mortelle et inégale s’engageait… Et le garçonnet courrait, courrait pour sa vie.
Ce n’est définitivement pas un conte ordinaire. Chacun en est persuadé, et tous entendent clairement la tristesse dans la voix d’Haer, qui les avait pourtant habitué à des contes et des chansons autrement plus joyeux. Quelques raclements de gorge se font entendre parmi le public, pendant la courte pause dans le conte, puis Haer reprend son histoire.
Le garçonnet trouva refuge dans les montagnes, qui pour lui devinrent le réceptacle de son Destin. Il revint chez lui, un jour plus tard, et devant la tombe de cendres qu’était devenue sa maison, il se jura de ne plus jamais fuir, et de venger ses parents. Il retourna alors dans la montagne, ne connaissant pas l’existence d’un village à quelques lieues de là…
Courte pause
Son histoire aurait pu s’arrêter là, après n’avoir rien mangé, ni bu pendant plusieurs jours. Mais quelqu’un interféra avec ce destin funeste. Alors qu’il cherchait de quoi se nourrir, le garçonnet eut une vision étrange. Devant lui se tenait une créature, qui avait à la fois la peau et le visage d’un homme, et à la fois les poils et le museau d’un animal. Les deux se superposaient, en flottant bizarrement. Puis tout devint noir devant ses yeux.
Haer reprend son souffle, et en profite pour boire une gorgée d’eau fraîche, laissant ses spectateurs sur leur faim. Haer cache son sourire, en voyant à quel point ils sont impatients. Il reprend son rythme lent et monotone, et continue.
Quand il se réveilla, le garçon était à sur le bas côté d’une route de la montagne, qui avait l’air assez fréquentée. Il ne sentait plus la faim ou la soif. Il sentait une énergie différente couler dans ses veines, mais il n’y faisait pas attention. Son attention était captée par un homme qui venait dans sa direction. Un vieux bâton à la main pour l’aider à marcher, une épée à la hanche, une grande cape de voyageur, capuchon rabattu, laissant apparaître des cheveux grisonnants, un sac en bandoulière... tout indiquait qu’il s’agissait d’un guerrier, comme il en apparaissait souvent dans les contes que lui racontait sa mère, le soir pour l’endormir. L’homme ne se pressait pas, il marchait en regardant la Nature autour de lui. Le petit garçon n’osait pas bouger, de peur de briser cette scène si particulière. L’homme le vit, et s’arrêta au niveau du garçon.
Haer change de voix, prenant un ton grave, mais bienveillant..
« Et bien mon garçon, que fais tu donc seul au milieu de la montagne et des bois ? T’es tu perdu ? ». Le garçon n’osait pas répondre, intimidé par le grand homme.
« Je ne vais pas te manger, tu peux me répondre petit », fit l’homme avec un grand sourire.
« Je… Je n’ai plus personne… Ils sont tous morts… »
Haer change de voix imitant l’intonation d’un petit garçon effrayé.
Le sourire de l’homme devint tristesse… Sans dire un mot, il tendit la main au garçon. Après avoir hésité, celui ci la saisit de ses petites mains, et le suivit.
Haer fait une pause. Quelque chose l’a intrigué dans son public. Il lui semble avoir vu un homme dans le coin de la salle, un homme aux yeux jaunes. Mais à présent, la lumière n’est plus suffisante pour dire si ce n’était qu’une hallucination.
Ils marchèrent tout le jour, sans dire mot, jusqu’à ce que la nuit annonce sa venue. Ils trouvèrent alors refuge dans une petite grotte. Le bruit du feu emplissait leurs oreilles, et ils se regardaient tous les deux. L’homme fixait les yeux du petit. Le petit fixait les yeux de l’homme. Qu’avait il donc à le regarder ainsi ?
« Quel est ton nom petit ? »
Mais l’Homme qui n’en était pas un n’avait pas de nom, il ne s’en rappelait pas… On l’avait toujours appelé « mon enfant », « mon amour », « mon petit ». C’est ce qu’il répondit.
« Que s’est t’il passé, pour que tu sois seul ici ? »
Le garçon raconta, avec ses mots à lui, ce qui s’était passé, la mort de ses parents, la rencontre de la créature.
« Sais tu ce qu’était cette créature ? »
Le petit répondit pas la négative.
« C’était un lycanthrope. Tu as vu par delà sa nature… Et pour te sauver d’une mort certaine, il t’a fait un don, et une malédiction. Tu es à présent comme lui. Tes yeux le prouvent. Malheureusement, ces mêmes yeux feront que certains te rejèteront. Me comprends tu ? »
Le garçon hocha doucement la tête, même si il n’avait pas tout compris.
« Je suis Vargas, disciple de Iop, Dieu Guerrier. Veux tu venir avec moi, Wolf ? »
Wolf… Ce nom était venu naturellement dans la bouche de l’homme. Dans un langage étranger, cela signifiait « Loup », et cela correspondait tout à fait à la nature de l’enfant.
« Wolf… », répéta l’enfant. « Oui… je veux bien. »
Haer s’arrête. La soirée est déjà bien avancée. Il attend que le tavernier lui apporte de l’eau, avant de continuer son histoire.
