Durant cette fin de soirée où tous les Archanges parlaient entre eux de leur journée, l'Oracle traversa la salle commune vers l'Autel. Les groupes s'étaient comme toujours formés par affinité mais semblaient de plus en plus joyeux et entremêlés, les discussions allaient bon train et les amitiés se consolidaient chaque jour.
Ludina et Latrell, qui revenait de plus en plus pour aiguiser sa mémoire déficiente, contaient aux nouvelles recrues leur combat épique aux côtés de Nel qui leur avait permis d'atteindre la Sixième Salle du Château Wabbit et d'y succomber avec fierté et honneur... Les recrues, mi-amusées mi-incrédules les écoutaient d'un oreille tout en observant du coin de l'oeil Ogam et Casimodo qui tentaient de créer un nouveau jeu à base de dés, de cartes et de chansons. Frh quant à lui admirait la scène avec bonheur et fierté.
En voyant passer l'Oracle il remarqua immédiatement son teint livide et son visage fermé. Il observa l'assistance afin de s'assurer que personne n'avait remarqué l'étrangeté de Nel et vit que chacun vaquait calmement à ses occupations. Il allait se retourner vers l'Autel lorsque Lisaya, la plus jeune recrue, leva très lentement le visage et le fixa, avec un regard qui ne laissait planer aucun doute sur ce qu'elle savait.
L'Oracle monta sur la plate-forme et s'installa devant l'Autel. Elle releva son visage, sembla faire un effort pour se contenir et sourit maladroitement à ses Archanges.Je vous prie de m'excuser de vous déranger, je sais que la journée fut bien remplie pour tous... mais le sujet que j'ai à aborder est de la plus haute importance, du moins pour moi.
C'est une page sombre de l'histoire d'Amakna que je vais ouvrir cette nuit. Certains la considéreront peut-être avec joie, apaisement ou indifférence, pour moi cela fut légèrement différent.
J'ai dès mon plus jeune âge senti grandir en moi des sentiments profonds mélés de pitié et de haine pour les être vils qui peuplent nos terres. Ceux qui volent, pillent, agressent sans respect aucun, sans honneur ni gloire autre que celle des leurs. J'ai grandi pour les combattre, pour les détruire. Je ne voulais que le exterminer tous, je l'avoue. Et oui, j'étais bien loin des douces aspirations rédemptrices qui m'animent à présent...
J'ai rencontré de nombreux démons, j'en ai envoyé bon nombre en prison afin d'y absoudre leurs péchés, j'ai péri plus souvent encore. Ma haine ne faisait que grandir au fur et à mesure de mes combats contre ces monstres sans âme et ma vie semblait toute tracée. Je détruirai ces êtres vils et creux, ces Bouncer, ces Vegeta, ces Palejaune et autres créatures de la nuit.
Avant de rassembler cet Ordre, j'ai changé, vous vous en doutez. J'ai en effet fait une rencontre qui a changé ma vision de choses. Si certains démons étaient ironiques aucun n'avait encore réussi à me convaincre qu'ils avaient un but, une raison d'être... et j'ai combattu Konino.
Ce démon aux allures multiples, parfois Féca, parfois Sram... je ne l'ai jamais vraiment compris. Il m'a poursuivi pendant des nuits, épiant mes gestes, ne s'avouant pas vaincu avant de m'avoir fait mettre épaules au sol... il riait, et m'aidait à me relever. Combien de fois ai-je voulu lui percer le coeur... sans doute autant de fois que j'ai respiré depuis lors.
Nous avons combattu tant de fois que son visage me hantait, son rire me poursuivait.
Mais au fur et à mesure des batailles nos gestes ont changé, ne visant plus la mort de l'adversaire mais la beauté du combat, et la victoire du plus méritant. Nous avons même commencé à échanger quelques paroles...
Nous en sommes venus à débattre de nos idéaux, du bien et du mal... il avait une conception tellement différente de la chose. La loi du plus fort était son credo et il était prêt à respecter tous ceux qui sauraient lui prouver leur supériorité dans ce domaine si ils le faisaient avec honneur. Nos batailles n'en ont été que plus acharnées, il m'a dérobée des objets auxquels j'attachais une grande valeur. Nombreux seraient ceux qui auraient souhaité un retour de ceux-ci, mais avec Konino cela n'était même pas envisageable... non pas qu'il voulut s'enrichir avec ceux-ci (il les conservait en général comme des trophées) mais il aurait jugé insultant de montrer tant de mépris et de pitié envers un digne adversaire.
Lorsque les démons sont devenus supérieurs en nombre et en force et que les Puissances Angéliques ont failli disparaître, il a même tenté de
renverser la vapeur en nous fournissant en armes et en équipement... pour lui comme pour moi à présent, le Grand Jeu est une fin en soit, la victoire n'est qu'une conséquence de l'affrontement.
Il est même venu, grimé, déposer des plis pour nous narguer et aviver notre combativité...
A l'évocation de ce souvenir l'Oracle sourit fugitivement. Elle fit une pose et observa les Archanges. Leur visage montraient une incompréhension et une inquiétude croissante...Ainsi Konino a été pour moi, en plus d'un adversaire de valeur, une être à part entière, et je l'ai aimé pour cela comme je vous aime. C'est pourquoi la nouvelle que je dois vous annoncer m'attriste au plus haut point.
Konino nous a quitté. J'ai moi-même vu le lieu de sa sépulture bien qu'il ne reste plus que des cendres de son corps.
Je vis son départ comme une déchirure car Konino était pour moi une des raisons maîtresses de ma Lutte, la vie sans lui aura sans doute moins de saveur. Je le remercie pour m'avoir ouvert les yeux vers l'essence de notre combat et j'espère que vous vous souviendrez de lui comme d'un combattant droit et fidèle, d'un Démon qui avait une âme.
Les Archanges observaient le visage l'Oracle et voyaient, incrédules, d'improbables larmes couler sur ses joues. Cependant son visage resta droit et sa voix, bien que tremblante, continua jusqu'au bout sans se briser.Je vous remercie de l'attention que vous m'avez portée. N'oubliez jamais pourquoi nous nous battons, et n'oubliez pas non plus ceux que nous affrontons, les vils comme les nobles. N'oubliez jamais Konino, pour ma part jamais je ne le pourrai.
Elle se retourna doucement et se dirigea vers la porte de ses appartements. Frh mit quelques secondes à réagir et marcha d'un pas vif vers Nel qui s'éloignait. Il n'eut pas le temps de la rejoindre avant que la porte ne se ferme et il s'arrêta, l'air extrêmement inquiet. Il posa sa main sur l'Autel en continuant de regarder la porte close. Saisi d'une impression étrange il releva sa main et observa ce sur quoi elle était posée...
Il put entrappercevoir un instant quelques gouttes d'un bleu d'azur perler sur le bois qui achevait de les faire disparaître.